L’âme des vieux métiers

2024-03-08 07:18parXIAYUANYUAN
中国与非洲(法文版) 2024年3期

par XIA YUANYUAN

Pose de tuiles sur le toit d’une ancienne demeure du village de Lizhuang.(MUSÉE DE SONGYANG)

Le rôle clé des charpentiers dans la préservation de Songyang

Dès le seuil de l’atelier de Ye Changxian, niché sur les hauteurs du mont Anle dans le district de Songyang, à Lishui au Zhejiang, un effluve boisé de sapin titille agréablement nos sens.Les outils soigneusement alignés sur la table de travail dévoilent l’univers de M.Ye.Âgé de 57 ans, ce charpentier émérite jouit d’une réputation incontestable, forte d’une expertise de près de quatre décennies dans la restauration de charpentes de bâtiments ancestraux.Sa maîtrise de l’assemblage tenon-mortaise, technique séculaire de construction et d’ébénisterie requérant l’encastrement précis du tenon dans la mortaise pour un emboîtement parfait,témoigne de son talent exceptionnel.

Depuis que le district ainsi que la ville de Lishui ont entamé l’Action de sauvetage de l’habitat ancien en 2016,M.Ye a participé à plus de 160 projets de restauration.« Jamais je n’aurais imaginé que cet artisanat connaîtrait un tel renouveau.»

Les bâtiments historiques éparpillés à travers les hameaux de Songyang racontent une histoire rurale unique, façonnée au fil des siècles.Bien que ces édifices,souvent âgés de plus d’un siècle, puissent sembler modestes en termes de valeur patrimoniale, ils incarnent un héritage culturel irremplaçable.Malheureusement,l’usure du temps a peu à peu altéré leur splendeur originelle.

La restauration de ces joyaux architecturaux exige des artisans non seulement un savoir-faire d’exception,mais aussi une compréhension profonde de leur valeur culturelle, environnementale et historique, au moyen de techniques respectueuses de leur essence.« Nous avons constaté que les habitants sont ceux qui chérissent le plus leur village, et que les charpentiers locaux possèdent une connaissance inégalée de la structure de ces bâtiments séculaires », souligne Ye Maosong,directeur exécutif adjoint du Bureau des bâtiments anciens des vieux villages du district de Songyang.Il ajoute que plus de 2 000 artisans traditionnels et une trentaine d’équipes ont été formés dans le cadre de cette initiative, mobilisant ainsi plus d’un millier d’artisans dédiés à la préservation de ce patrimoine précieux.

La renaissance des vieux métiers

Les bâtiments de la région ont été construits principalement avec des matériaux locaux par des charpentiers très estimés dans les environs.

À 16 ans, Ye Changxian a commencé sa carrière en charpenterie, devenant apprenti pendant trois ans.Avec l’arrivée du béton armé dans les années 1990,les méthodes traditionnelles sont devenues obsolètes,forçant M.Ye à changer de profession.Cependant,l’intérêt pour les maisons d’hôtes traditionnelles a resurgi en 2008, nécessitant des charpentiers expérimentés.M.Ye est alors retourné à la charpenterie,formant une équipe de trente artisans pour préserver les bâtiments anciens.

Zeng Ronghua, un artisan membre de l’équipe, partageait une certaine appréhension à l’idée de restaurer des demeures anciennes après tant d’années d’interruption :« Nous n’avions pas entrepris de rénovation de vieilles maisons depuis longtemps et l’incertitude de notre capacité à relever le défi était palpable.»

Dans le but d’élargir leur champ de compétences et d’assurer une adhésion rigoureuse aux principes de l’architecture traditionnelle, le district de Songyang a lancé en 2016 un programme de formation spécialisée.Ce programme a convié des experts en préservation du patrimoine, tant au niveau provincial que national, pour former plus de 600 artisans en menuiserie, sculpture et maçonnerie à travers tout le district.

Rénover un « morceau de nostalgie »

« Lors du processus de restauration, nous nous sommes rigoureusement attachés au principe de rénover plutôt que de substituer, en veillant à conserver les éléments originaux autant que faire se peut », souligne M.Ye.Cette approche vise à conserver les traits essentiels des maisons de Songyang, incluant murs de terre,structures boisées, tuiles, pignons, et fondations en pierre, pour maintenir leur esthétique originelle tout en les rendant habitables, nécessitant des artisans dédiés.

M.Ye reconnaît que le défi majeur réside dans la fidélité à l’état initial : « Les critères étaient extrêmement précis, concernant les dimensions des cadres de fenêtres, les tuiles de toiture et même l’allure générale »,confie-t-il.La quête des matériaux adéquats, comme les tuiles anciennes, peut amener les artisans à parcourir des dizaines de kilomètres durant des semaines.Les éléments défectueux, retirés en raison de moisissure ou de pourriture, sont conservés comme réserves pour des réparations futures.

Initialement, la rénovation préservatrice de M.Zeng a été mal comprise par les villageois, vue comme négligente.L’équipe a démontré son efficacité en rendant les toits étanches et en modernisant les infrastructures sans compromettre l’esthétique des bâtiments, prouvant ainsi que protéger le patrimoine améliore aussi le quotidien.

Ye Changxian et son fils Ye Yanjie,âgé de 27 ans.(YU XIANGJUN)

Un charpentier à l’œuvre.(MUSÉE DE SONGYANG)

« Restaurer une vieille demeure, c’est soigner son âme.Chaque brique, chaque tuile porte en elle un fragment de nostalgie.Les artisans insufflent une seconde vie à ces témoins du passé avec une persévérance qui respecte cette nostalgie »,affirme M.Ye.

Transmettre les vieux métiers

La plupart des artisans de l’équipe de Ye Changxian ont plus de 50 ans.Parmi eux, Ye Yanjie, le fils cadet de M.Ye, âgé de 27 ans, représente la jeunesse.« La relève est rare dans notre métier, qui est exigeant et dont l’apprentissage s’étale sur deux à trois ans.» Songyang,riche d’une tradition de charpenterie remontant aux dynasties des Ming et des Qing, voit aujourd’hui ses techniques et son style uniques menacés de disparition.Malgré la réintroduction des charpentiers, maçons,plâtriers et tresseurs de bambou dans les villages grâce à l’initiative de sauvegarde de l’habitat ancien,la région fait face à une pénurie d’artisans qualifiés et de successeurs.

Pour contrer cette tendance, les autorités de Songyang ont mis en place des mesures incitatives.Depuis 2016, un effort concerté est déployé pour identifier et former des artisans d’exception,désignés sous le titre d’« Artisans de Songyang » dans le cadre d’une initiative gouvernementale.Après leur formation,ces artisans reçoivent des certificats attestant de leurs compétences, ce qui contribue ainsi à constituer une réserve de talents spécialisés dans la préservation du patrimoine culturel.

En 2021, le Lycée professionnel de Songyang a lancé un programme en génie civil axé sur la rénovation de bâtiments anciens, incluant des cours pratiques comme la sculpture sur bois et la maçonnerie.Ce programme vise à former des artisans en construction traditionnelle, avec M.Ye et d’autres experts enseignant à une quarantaine d’étudiants pour préserver ces compétences ancestrales pour les générations futures.CA